L’activité joyeuse du marché du dimanche à Bac Ha s’est éteinte avec le déclin du soleil, la ville retrouve un calme relatif qui sera, une nouvelle fois, soulevé le dimanche suivant. A l’hôtel, Đông, le gérant, toujours présent, soigne ses deux derniers clients, séduits par la sérénité qu’offre le lieu, de la chambre d’hôtel aux chemins des montagnes voisines.
Bac Ha, à l’extrême Nord du Vietnam
Bac Ha (prononcer Ba Haaaa en insistant bien sur le second a), ce nom résonne dans nos souvenirs comme un grand moment de repos, où nous avons repris nos esprits après déjà plusieurs mois d’épuisantes découvertes, celle des transports, celle d’une Russie traversée au pas de course, d’une Mongolie aride et fascinante, d’une Chine riche et oppressante.
Au rythme de la circulation dense du matin, nous nous sommes réveillés, de la pluie nous nous sommes reposés et des éclaircies avons enfourché un scooter pour sillonner la région. Une région riche en couleurs et en vie, où chaque virage abrite une nouvelle surprise, un village, une maison de montagne, des rizières aux couleurs dégradées, du jaune au vert, plus belles encore aux soleils du matin et du soir. Les montagnes, dont le relief est dessiné par ces rizières courbées, surplombent de timides ruisseaux aux fonds couverts de rochers, décrochés des flancs.
Femmes et hommes âgés, troupeaux de buffles, meutes d’enfants qui décrochent d’enjoués Xin chao à notre passage remontent les routes, longues de plusieurs kilomètres et sinueuses jusqu’au village suivant. Les cigales chantent de toutes leurs forces, à n’importe quelle heure de la journée, dans un bourdonnement continue accompagnant tous les déplacements, à parfois couvrir tous les sons et les silences des montagnes.
Nous ne pouvons être qu’émerveillés par ces foisonnantes cultures du riz embaumant l’air d’une douce odeur de champs humides, bordées de forêts denses et touffues, lovées sur chaque détour de montagnes. Un soir, après avoir roulé des heures durant sur les sentiers de petits hameaux perdus, nous trouvons enfin le chemin caillouteux et abrupt que nous cherchions, qui devrait nous mener jusqu’à une ville du fleuve. Mais, au détour d’un virage, des habitants nous interpellent. En gestes :
– Où allez-vous ? … La ville du fleuve ?! C’est un sacré détour pour retourner à Bac Ha ! ».
Sous la menace de la nuit tombante, ils nous conseillent de prendre la plus rapide, faire demi-tour et retrouver la route du Nord, là même d’où nous venons. A la lueur du phare de la moto nous arrivons à l’hôtel, où Đông nous attend avec son grand sourire : « so, did you get lost ? ».
Un autre jour, aux abords d’une cascade, une activité règne en amont et en aval d’un câble-tyrolienne d’où sacs de riz et ballots de paille séchée sont propulsés sur la route ; ça doit bien cacher quelque chose. Nous laissons la moto sur le bord de la route et empruntons un petit sentier contigu à l’eau, qui nous mène haut vers une vallée coupée de toute civilisation.
Nous passons un dernier lacet et arrivons aux abords de ce qui paraît être un paradis perdu, là où l’homme sait vivre en harmonie avec la nature. Des rizières, encore des rizières qui de tout leur long dessinent le chemin d’un ruisseau, celui-là même qui forme les eaux de la cascade. Nous devinons au fond de la vallée de petites chutes d’eau déferlant du haut de la montagne surplombant un lieu de vie paysanne. Autour, des champs de maïs assoiffés, on pourrait même dire morts, grimpent sur les versants, couleur ocre brunie par les rayons du soleil.
« littéralement morts de rire, avec leur visage d’une extrême douceur et leurs petits corps habiles, si fragiles semblerait-il à côté de ces animaux massifs »
Les adultes sont au travail. Les hommes préparent les sacs de riz que les femmes battent au préalable sur une maille fait de lamelles de bambou. Elles sont habillées de vêtements longs malgré la chaleur et portent ces guêtres qui, en déduit-on, permettent de marcher dans les rizières sans s’écorcher. Des silhouettes évoluent dans les champs dans une marche lente et lourde, jusqu’à ce que nous discernions de petites femmes chargées d’immenses ballots d’une paille encore largement humide, qu’elles mènent jusqu’à la tyrolienne.
Un peu plus loin, le ruisseau forme un bassin clair où de jeunes enfants se baignent. Quand ils nous aperçoivent, les voilà pris d’un puissant “bye bye, bye bye” qui ne cesse qu’avec la distance, alors qu’ils suivent le cours de l’eau. D’autres rires nous parviennent depuis le chemin boueux qui traverse les rizières : ce sont d’autres enfants, qui montent des buffles. Ils sont pliés en deux, littéralement morts de rire, avec leur visage d’une extrême douceur et leurs petits corps habiles, si fragiles semblerait-il à côté de ces animaux massifs.
Avec leurs cris et leurs rires, les enfants donnent la mélodie de la vallée, rythmée par le “tchak – tchak” des gerbes de riz frappées sur la maille, à quelques dizaines de mètres de là. Les petits hommes s’en vont plus loin dans la rivière laissant leurs montures s’immerger dans la fraîcheur de l’eau.
Quelques maisons habitées parsèment les abords des champs, nous devinons des femmes aux fourneaux, assises devant une marmite fumante qui, peut-être, cuit le riz gluant, le bouillon ou quelque autre met rudimentaire et savoureux.
« L’homme nous fait signe de la main et nous invite à leur prêter main forte, le temps de terminer de battre un grand tas de gerbes pas encore débarrassées de leurs grains »
Les rizières, la culture, la récolte
Le mois de septembre est au début de la récolte. Depuis le Sud de la Chine jusqu’en Indonésie, les cultures de riz sont partout, profitant de climats propices aux chaleurs fortes et aux quantités d’eau apportées par la mousson. Cette eau s’écoule entre les champs nivelés entourés de petites digues. Plus tôt dans l’année, les buffles tirent des charrues dans une terre boueuse afin de laisser le sol respirer, de briser les mottes trop denses et d’enfouir les restes végétaux. Puis les jeunes plants germés, issus de grains soigneusement triés par les femmes, sont déterrés de leurs plates-bandes de semences et repiqués, à la main, dans les champs labourés et déjà inondés, à une vingtaine de centimètres les uns des autres. Une demi-année plus tard (entre septembre et octobre), l’eau est évacuée des rizières jaunes trois semaines avant la récolte ; le moment où nous avons découvert la vallée secrète.
Plus tard dans la semaine, nous décidons de repasser par là. Malheureusement, la pluie des derniers jours n’a pas renouvelé le tableau enjoué de tout un village au travail sous les rires des femmes et des enfants. Seules quelques personnes récoltent ci et là.
Une famille nous voit passer dans un sens, puis dans l’autre. La femme se charge, avec l’aide de son fils, d’égrainer les gerbes avec une de ces machines vendues dans divers marchés : un rouleau actionné par une pédale au pied, piqueté de fines barres de métal courbées qui secouent les gerbes de blé afin d’en faire tomber le grain. L’homme nous fait signe de la main et nous invite à leur prêter main forte, le temps de terminer de battre un grand tas de gerbes pas encore débarrassées de leurs grains ; nous sommes chargés d’étaler les tiges nues sur le champ pour qu’elles sèchent au soleil, brûlant à travers les nuages chargés d’humidité.
Avec ces images, nous quittons le Nord du Vietnam, enchantés par les beautés d’un nouveau monde qui s’offre à nous ; l’Asie du Sud-Est est un souffle d’air frais plein de vie et de beautés préservées, à en ravir tous les sens.
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