Le concept est original. Vous louez une chambre d’hôtel voyageuse dans un endroit sympa. Vous vous y enfermez pour une durée déterminée (de quelques heures à plusieurs jours). Sortant seulement de temps en temps par une porte qui, par je ne sais quel procédé certainement magique, s’ouvre toujours sur des lieux différents, afin d’y faire quelques emplettes (poisson fumé, soupe déshydratée etc.). Pour finalement en ressortir, quelques heures ou jours plus tard, à une heure très précise, dans un nouvel endroit sympa.
Vous l’aurez compris, nous avons voyagé pendant quelques jours à bord d’un train suivant les rails du Transsibérien.
Partis de Saint Petersburg, nous avons d’abord relié Moscou à bord d’un train on ne peut plus banal. Ressemblant fortement à ce grand ver bleu que les Français appellent TGV (Très Grand Ver). En plus confortable mais surtout beaucoup moins bleu. Plutôt gris et rouge. Et de fabrication allemande, une contrée non-loin du pays qu’habitent les Français.
C’est à Moscou que nous montons à bord de celui qui suscite tant d’imagination mais aussi d’interrogations : « mais qu’est ce qu’on peut bien faire pendant quatre jours et quatre nuits à bord d’un train ? »
Wagon numéro 9 pour nous, entre le 8 et le 10. Le provodnitsa contrôle nos billets et passeports sur le pas de la porte (du wagon), avant de nous laisser monter en prenant soin de nous indiquer notre numéro de cabine sur les billets (la seule chose qui n’est pas écrite en cyrillique, on s’en serait sorti). Un long couloir, avec d’un côté une série de fenêtres et de l’autre les cabines. Une dizaine par wagon. Ayant choisi la 2ème classe (coupé) nous nous installons dans une cabine avec deux « lits » superposés se faisant face. Les wagons en première classe ont des cabines avec seulement un lit superposé et ceux de la troisième classe (platzkart) ressemblent à un long dortoir avec beaucoup de lits.
A première vue, chargés de nos gros sacs, les cabines nous paraissent bien petites. Mais une fois les sacs bien rangés dans les compartiments prévus à cet effet, sous les matelas, et n’ayant pour le moment pas prévu de faire autre chose que de bouquiner – regarder par la fenêtre – bouquiner – manger – regarder par la fenêtre – dormir – petit déjeuner – boire de la vodka avec des Russes (on nous a longuement prévenus qu’ils avaient la main lourde de ce côté-là. Apprenant même, dans un Lonely Planet, que le meilleur moyen de limiter ce petit jeu serait de dire YA alkogolik (« je suis alcolique »), espérons qu’ils nous croient, et que ça ne fasse pas l’effet inverse) – décuver – dormir… on se rend compte que de la place supplémentaire aurait été superflue.
« On oublie souvent que nous sommes nous aussi une curiosité pour le passager russe »
Notre compagnon de cabine ne tarde pas à arriver. Il n’y en aura pas d’autre. Tout le long du voyage nous serons trois dans la cabine. Changeant plusieurs fois de colocataire mais gardant toujours un lit de libre. Une aubaine pour nous, seulement une chance sur trois pour que quelqu’un ronfle dans la cabine. Et pourtant, on l’a quand même saisie, cette chance (snif).
Après un vague instant de timidité, une discussion commence avec notre colocataire de cabine. Une discussion… un bien grand mot. Voilà un début de réponse à la question mais qu’est ce qu’on peut bien faire pendant quatre jours et quatre nuits à bord d’un train ? « Po-russki ? » Ah non, on ne parle pas Russe, Niet. « Do you speak english ? ». Hm, non plus apparemment. Nous voilà revenus à nos un an : On commence à peine à bredouiller quelques mots qu’on nous pose plein de questions. Ca peut-être compliqué, drôle, et long !
Limitées à l’essentiel, les discussions ne peuvent qu’être intéressantes. Aussi longues soient-elles, nous avons le temps ! Avec l’aide d’un carnet et d’un crayon on arrive à échanger assez pour en apprendre plus sur l’autre. Et les autres plus sur nous. On oublie souvent que nous sommes nous aussi une curiosité pour le passager russe, qui rentre d’une simple réunion d’affaire un peu loin de chez lui, celui qui prend le train pour rejoindre une plus grande ville pour une histoire d’hôpital et d’opération de l’œil, ou encore celle qui a passé du temps chez sa mère avec son petit avant de rentrer retrouver son mari.
Le train n°070 a maintenant largement quitté la gare, une nouvelle vie commence à bord :
Le provodnitsa (sorte d’hôtesse, un homme et une femme dans le wagon n°9, qui se relaient 24h sur 24) nous distribue draps, housses de couette et de coussin. Un confort inattendu, certainement dû au souvenir d’un train de nuit pris en Inde, où une simple banquette molle devait à elle seule assurer le confort des voyageurs. Les occupants Russes, après avoir englouti, non sans partager, l’incontournable morceau de poulet rôti qui accompagne généralement leur début de voyage, défilent un à un dans l’un des deux petits espaces toilette et y troquent leur tenue « de ville » contre une autre plus confortable. Un jogging, un T-shirt, et une paire de pantoufles qu’ils ne quitteront plus avant la fin de leurs voyages respectifs.
Les yeux s’évadant dans le paysage qui défile de l’autre côté de la vitre, accoudés à la barre qui sert de main courante, du côté couloir, nous rencontrons Titus, Nadine et Norman, qui vaquent à la même occupation. Enfin, du moins Nadine et Norman. Titus est trop curieux pour résister à l’envie d’aller voir ce qu’il se passe dans chaque cabine. C’est certainement lui qui aura le plus profité du voyage. Discutant avec chaque personne croisée. Même si les mots sont presque toujours incompréhensibles pour lui comme pour la personne en face, rien ne le retient. Le troisième jour, il fête ses un an à bord du train. Bien qu’il n’ait pas levé autre chose que quelques verres d’eau à cette grande occasion, il dormira, encore une fois, comme un loir la nuit suivante, à la grande joie de ses parents. Bercé par le train et peut-être épuisé par toutes ces journées de découvertes et de rencontres.
Ce couple d’allemands et leur petit sont les seuls autres étrangers dans notre wagon. Voyageant pendant trois mois de Moscou jusqu’à Pékin. Chargés comme il se doit quand on part avec une personne qui ne peut pas encore porter son propre sac.
« De l’eau chaude est disponible dans chaque wagon, grâce au samovar (sorte de grande bouilloire) où elle est chauffée en continu. »
Déjà presque deux jours que nous sommes à bord. La nuit a été agréable, bercée par le régulier tatac-tatac-tatac… du train, elle a été profonde et longue, au point de ne pas entendre partir notre premier colocataire, tôt ce matin. Un petit déjeuner, sorti de nos sacs, à base de muesli et de fruits, accompagné d’un bon thé brûlant. De l’eau chaude est disponible dans chaque wagon, grâce au samovar (sorte de grande bouilloire) où elle est chauffée en continu. Une espèce « d’usine à gaz » qui fonctionne avec un minuscule foyer et une suite de tuyauterie. Malgré un wagon restaurant en milieu de rame, la majeure partie des passagers préparent leurs repas eux-mêmes. A base de soupe déshydratée et parfois du poisson fumé, qu’ils achètent aux vieilles Babushka lors des arrêts dans certaines gare.
Le voyage est ponctué d’arrêts, souvent de quelques minutes, parfois plus longs, jusqu’à 45 minutes. Les réserves d’eau des wagons sont alors refaites, des ouvriers contrôlent les roues à l’aide de petits coups sonores qu’ils donnent avec de longues tiges métalliques, parfois une locomotive est changée. Pour nous, le temps de nous dégourdir les jambes et de faire quelques achats de nourriture, bière, et vodka pour certains.
Le troisième jour, un horrible sifflement nous réveille en pleine sieste. Le provodnitsa passe l’aspirateur dans le couloir et les cabines, comme à son habitude. Les nombreux fuseaux horaires traversés nous font perdre toute notion de temps. Nous dormons au hasard du jour et de la nuit. Les allers-retours des passagers au bouilleur, pour l’eau chaude indispensable à leur soupe, se font aussi plus hasardeux. On mange à toute heure dans toute la rame. Le voyage dans le temps existe ! Lors des arrêts dans les gares les horloges indiquent l’heure de Moscou. Certainement pour des questions de simplifications des horaires d’un train qui traverse jusqu’à 7 fuseaux horaires. Pour nous ça a plutôt prêté à confusion : un jour, sortant tout juste d’une phase de sommeil, nous descendons du train. La grisaille du ciel empêchant d’avoir une quelconque idée de l’heure nous regardons instinctivement l’horloge : 8h30. Le premier réflexe est de se dire qu’il est tôt, qu’on pourra encore profiter du jour pour admirer les futurs paysages. En réalité il était 13h30. L’après-midi nous a paru particulièrement courte ce jour-là !
Le dernier jour passe lentement. Les paysages ont beaucoup varié depuis le début du voyage. Alors qu’au deuxième on commençait à se lasser de l’épais mur d’arbres (toujours des Pins mais aussi des boulots) qui a mis à rude épreuve notre imagination pour savoir ce qu’il se passe derrière, cette haie a finalement fait place à des paysages plus vallonnés, des marécages puis des terres plus arides, de la steppe, à l’aube du troisième jour.
« Le voyage est ponctué d’arrêts, souvent de quelques minutes, parfois plus longs »
Les campagnes sont ponctuées de rares villages avec leurs baraquements en bois, presque toujours agrémentés d’un vieux tube en métal rouillé sortant du toit, et crachant une épaisse fumée blanche. Le bois ne manque pas, devant chaque habitation plusieurs stères assurent un hiver chaud aux propriétaires.
C’est à l’entrée des villes que l’on devine où s’entasse une grande partie de la population Russe. Des immeubles de béton a perte de vue y créent un décor gris et rectiligne.
Le provodnitsa nous réveille une heure avant l’arrivée à Irkoutsk. Ce qui pourrait nous faire grogner si on ne savait pas qu’il va verrouiller la porte des toilettes d’ici peu. Pas question de larguer des défections humaines dans une gare. Commence le va-et-vient aux toilettes. Les passagers qui descendent ici se changent à nouveau, finie la « tenue de salon », retour à la réalité des jeans/chaussures de ville. Certaines dames se remaquillent. Comme si à l’intérieur du transsibérien chacun ne se sentait pas obliger de se cacher de l’autre par différents artifices, vestimentaire et autres. Un monde à part. Une bulle entre deux arrêts.
8h28, le sol ne bouge plus sous nos pieds, le poids de nos sacs, qu’on avait oubliés pendant quatre jours, nous ramène à cette autre réalité. Le regard légèrement embrumé, il n’est que 3h28 à Moscou, nous nous dirigeons vers la sortie de la gare. Un autre visage de la Russie s’offre à nous. Irkoutsk, poussiéreuse et chaotiques, à 5153 km de Moscou, ne ressemble en rien à ce que nous avons pu voir jusqu’à maintenant de ce pays.
« Un monde à part. Une bulle entre deux arrêts. »
Des techniciens de la RZD.
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3 Comments
Hé marchez pas trop vite! Vous allez faire tourner la terre sous vos pieds!!
A boire, à manger , des pins et surtout des gens sympas je ne savais pas que l’Ardèche était si étendue.
Entre Toulouse et Carcassonne, de retour du boulot, je vous remerci pour ce merveilleux voyage que vous m’avez fait vivre !
J’ai revécu tous les merveilleux souvenirs que j’ai des moments inoubliables que j’ai vécu dans le train en parfaite compagnie d’Ophélia entre Sochi, Mourmansk et Saint Petersbourg.
Le train russe est un voyage en lui même. Je recommande à toutes personnes lisant ce si bel article de partir au plus tôt pour la Russie et de profiter d’un voyage inoubliable dans le train russe !