Deux soleils se couchent face à nous, un derrière les montagnes et l’autre, son reflet, dans la rivière qui serpente en contre-bas. Derrière nous, un peu plus dans les hauteurs, des chevaux sauvages broutent l’herbe verte qui ne cesse de repousser pour nourrir toute la faune de cette vallée. Les tentes sont montées, les repas ont été servis et avalés, et certains font encore un brin de toilette au bord d’une eau sableuse…Finalement chacun rejoint son petit abris, la journée de demain sera plus longue que la petite marche d’aujourd’hui, un bon sommeil en sera la meilleur préparation.
La vallée de l’Orkhon : la Mongolie comme on l’imagine.
Nous y voilà, au centre de ce paradis que les agences de voyages mettent en avant dans leurs prospectus. Ces prospectus dont nous nous sommes dit qu’ils ont peut-être été un peu trop « photoshopés » (comprendre « retouchés »), lors de notre arrivée en Mongolie à travers des Steppes aux couleurs fades.
Il nous a fallu un peu de temps et quelques soirées à la Gana’s Guest House à discuter avec d’autres voyageurs pour prendre la décision de venir jusqu’ici. La Mongolie est un territoire vaste et faiblement peuplé. 1,7 hab/km2, contre 98,8 hab/km2 en France, pour l’exemple. Ca limite les problèmes de voisinages, mais implique aussi, dès que l’on veut se déplacer à travers le pays, qu’il faut parcourir de (très) grandes distances. Je ne pense pas être mauvaise langue en disant que les agences de voyages ont sauté sur l’occasion. Difficile de passer à côté, pourrait-on croire en arrivant à Ulaan-Bator. Ces agences proposent des tours à partir de 55$/jour (le moins chère qu’on ait trouvé). Randonnée à cheval, balades dans le désert du Gobi, « évasion et liberté » (au milieu d’un groupe de 10 et en file indienne), passage chez des nomades (devenus businessmans sédentaires pour l’occasion), etc. C’est en effet un bon moyen d’avoir un aperçu très global de ce que pourrait être la Mongolie. Seulement, nous avons une tente, des duvets, matelas et réchaud dans nos sacs à dos. Et aucunement l’envie de suivre un groupe sur des traces trop souvent empruntées. Alors non, nous ne verrons pas toute la Mongolie, seulement une toute petite partie, mais sélectionnée avec soin : La vallée de l’Orkhon.
Voilà comment nous nous sommes retrouvés ici, au milieu de nulle part. Trois petites tentes vertes, avec dans chacune deux occupants : Julien et Marina, un couple Franco-Brésilien rencontré à la Gana’s, avec lesquelles, à travers un partage d’informations, nous nous sommes naturellement retrouvés sur les mêmes sentiers. Ils nous feront profiter de leur filtre à eau tout le long de la randonnée. Un rituel matin et soir, parfois en journée, quand le besoin de boire augmente avec l’intensité du soleil, purifier l’eau sableuse et largement chargée en urine et défections animales de la rivière. Philipe et Lila, un couple de parisiens eux aussi rencontré dans la Guest House, qui, après avoir longuement hésité entre tour avec agence et balade en liberté, ont opté pour la deuxième solution. Proposant de se greffer à notre petit groupe pour leur première expérience en autonomie, au cœur d’une nature qui peut parfois être déroutante. Et nous, Coline, Marcel, juste là, à effleurer les touches du clavier avant que les lettres n’apparaissent sous vos yeux. De même pour le déclencheur de notre hybride, avant que les images n’accompagnent le texte pour recréer le décor.
De Kharkhorin à Bat-Ulzi.
La première journée, si on fait abstraction des quelques heures de marches de la veille qui ont eu pour principal but de nous éloigner de Kharkhorin où nous sommes arrivés en bus, nous met tout de suite dans l’ambiance des quatre prochaines : étendues de vert à perte de vue. Par-dessus les collines et les montagnes, l’herbe règne en maître sur le paysage. Parfaitement tondue sans un centilitre de gasoil : les yacks, chevaux, vaches, moutons et chèvres se chargent de ce laborieux travail, avec une mention spécial pour les premiers. Brouteurs d’exceptions, les yacks nous ont impressionnés par leur capacité à ne faire que ça. La tête baissée à rafler le gazon, une taille précise à deux centimètres du sol ! De temps en temps, il faut l’admettre, certains font une pause pour un tête à tête brutal. De quoi se rappeler que la première activité n’était pas si mal. Les deuxièmes, les chevaux, sont plus joueurs, et particulièrement curieux de notre passage. N’hésitant pas à galoper dans notre direction, levant un nuage de poussière au passage et faisant trembler le sol, s’arrêtant à bonne distance tout de même, ils se mettent côte à côte, que chacun puisse y voir quelque chose, et nous regardent passer en chuchotant – « drôle d’escargot ces bipèdes » – Les troisièmes, les vaches, pourraient être meilleures au classement si elles ne s’étaient pas perdues sur une petite ile au milieu de la rivière. L’eau est légèrement montée dans la nuit, quelques orages en amont, pas grand chose mais les voilà contraintes à observer le courant qui passe.
L’Orkhon, rivière tumultueuse, serpente à bonne vitesse à travers ces paysages d’exception. Les plaines que nous traversons ne laissent généralement pas apparaître le lit de la rivière au loin, qui souvent se joue de nous, ne se montre qu’à la dernière seconde, nous barre le chemin avec un de ses méandres et nous force à un petit détour. Jusqu’au pied des collines et montagnes environnantes, où elle n’a d’autre choix que de refaire une courbe ou de longer ces colosses résistants à son érosion. Une seule fois nous avons décidé de couper tout droit, alors que l’Orkhon contournait un de ces obstacles. Une colline dont, vue de loin, la pente nous semblait douce. Petit à petit nos pas se font moins rapides, voire s’arrêtent pour certains. Sous un soleil ardent, les pauses non plus ne sont pas de tout repos. On redouble d’effort, les sacs semblent plus lourds d’un coup, la machine qu’on croyait rodée après tous ces kilomètres se remet en marche de plus belle, la transpiration lutte pour tenir à bonne température nos corps. On aperçoit plus bas la piste plate qui contourne la colline, parallèlement à la rivière. – Ca aurait été plus facile ! – Ce n’est pas l’Everest, incomparable, mais l’arrivée en haut est d’abord un soulagement. On pose son sac au sol et ses fesses sur une des pierres, sièges naturels, et on expire un bon coup, faire retomber la pression d’un corps en ébullition ! Dès lors on est prêt pour la suite, le dessert : une vue imprenable, qui nous conforte presque immédiatement dans notre choix d’être passé par-dessus, plutôt qu’à côté. Le meilleur baume contre toutes nos douleurs. D’ici, on discerne enfin l’immensité qui nous entoure. La rivière ne peut plus se cacher dans son lit, on voit bien le petit jeu auquel elle joue, zigzagant de part et d’autre de la vallée, une pieuvre immense qu’on n’aurait jamais imaginée aussi vaste, sans être monté sur ce perchoir. Les animaux ne sont que des petites tâches noires, blanches ou marron. Et puis les yourtes, blanches, parfaitement rondes, de-ci de-là.
Le deuxième jour nous posons nos tentes en aval d’une toute autre formation de la rivière. Ici pas de pieuvre, mais un seul bras avec des eaux torrentielles. Un brouhaha constant qui bercera notre nuit. Le lendemain nous nous enfonçons à petits pas dans ce canyon, en nous frayant un chemin entre la paroi rocheuse et les eaux torrentielles. Un parcours rendu délicat par le poids de nos sacs. Jouant aux équilibristes sur ces amas de pierres, il nous faudra du temps pour traverser ces quelques centaines de mètres de gorges.
Quatre jours de marche, près de 70km à vol d’oiseau. Une faune et une flore incroyable. On n’en a pas parlé, mais à l’herbe viennent parfois s’ajouter des tapis de fleurs bleues. On aurait presque cherché le jardinier, mais à part les animaux personne pour entretenir ce magnifique « parc ». Des cavaliers, souvent à cru (sans selle) et pieds nus, qui galopent à toute vitesse en fin de journée, allant récupérer un de leur troupeau qui se serait un peu trop éloigné. De longues journée de marche, avec parfois la possibilité de voir tellement loin à travers ces plaines, que l’objectif visible dès le matin ne sera atteint que le soir, 20-25km plus loin. Comme la vigie d’un voilier qui crie « TERRE !!! », trois jours avant de pouvoir la toucher autrement que des yeux. Des nomades qui nous ont ouverts leurs yourtes, nous offrant vodka, thé salé et une espèce de yaourt, alors qu’on ne demandait que de l’eau. Un ciel plein de caprices. Passant d’un décor de cinéma, nuages de coton suspendus à des fils invisible, à un autre, plein d’effets spéciaux, menaçant, gris, chargé d’éclairs, de tonnerre et de vent. Partageant avec nous de grosses gouttes de pluie et même de grêle. S’excusant parfois de cette offense, avec un magnifique arc-en-ciel comme bouquet final. Des couleurs épatantes aux heures de coucher du soleil, jamais un instant pour laisser s’ennuyer nos sens. Les odeurs de thym qui reprennent le dessus sur celles de la terre humide, après la tempête. Des oiseaux qui occupent le ciel, canards sauvages, grues cendrées, rapaces, et d’autres plus petits qu’on n’a pas su identifier. Et puis ces petites têtes qui sortent au hasard d’un trou. Des chiens de prairie mongole. Un coup d’œil circulaire, aussi vers le haut, pas de danger en vue, « ok, go ! » il court il court, parfois s’arrête encore en chemin, lève la tête – « il habite où Timon déjà ??? » – et repart pour replonger dans l’un de ces nombreux petits trous. Ouf, en sécurité, l’aigle n’a rien vu !
Finalement nous arrivons à Bat-Ulzii. Où une nouvelle aventure commence : trouver un lieu où dormir et manger, dans cette ville exempte de voyageurs.
Comment
wowowow!!!!! je viens de vous envoyer un mail, puis j’ai ouvert le blog et oh surprise!!!!!! je me régale, magnifique récit, je suis un cheval dans la steppe mongole, merci!! bisous!