« On pourrait demander à des nomades pour un peu d’eau potable ». Sans encore le savoir, cette remarque à fait voler en éclats tous nos plans de la veille, sagement mis en place au bord de la rivière, pendant que Julien activait patiemment la pompe de son filtre à eau. Des 20 kilomètres de marche qu’on s’était fixés, le départ à 9h, une courte pause à 10h30, la pause repas de 13 à 15 pour éviter les heures les plus chaudes, etc. nous n’avons pu respecter que le départ à 9h.
« Des enfants qui jouaient dans l’herbe s’approchent, l’un d’eux nous regarde avec amusement, se faufile entre nos sacs posés au sol et ouvre la porte »
Un peu après 10h30, alors que nous repartons de notre « courte pause », nous nous dirigeons vers quelques yourtes non loin de là. « Ils doivent bien avoir de l’eau potable, peut-être qu’ils peuvent nous en vendre ». Devant la première, une vieille dame au visage embelli de rides par le temps, est assise, un monoculaire entre les mains. Pas d’eau ici, mais elle nous propose une grande louche remplie d’un épais liquide blanchâtre, du lait fermenté peut-être. Nous n’osons pas nous y risquer et refusons poliment. Quelques carrés de fromages alors, celui qui était en train de sécher au soleil… Va pour le fromage.
Nous nous dirigeons vers une autre yourte, à une dizaine de mètres de là. La porte fermée nous fait hésiter. Des voix en sortent, nombreuses. Des enfants qui jouaient dans l’herbe s’approchent, l’un d’eux nous regarde avec amusement, se faufile entre nos sacs posés au sol et ouvre la porte. Il lance quelques mots de mongol à l’intérieur et s’écarte. Une femme en sort, et sans hésitation nous fait signe d’entrer.
Quatre lits simples sont disposés en cercle autour d’un poêle à bois et d’une table basse. Quelques meubles aussi, dont un qui supporte une petite télé et une grosse batterie de voiture pour l’alimenter. Elle-même rechargée par les deux panneaux solaire accrochés à l’extérieur de la yourte. Les petites enceintes de la télé crachent la musique du clip d’un chanteur de musique populaire mongole. Un mélange de chant traditionnelle et de « soupe » moderne. On avait déjà été forcé « d’apprécier » sa musique, dans le bus jusqu’à Kharkorin, aussi équipé d’un écran et d’enceintes au-dessus des sièges. Ici par contre, on a de la chance, elle sera coupée rapidement, comme si pour une fois elle était de trop.
Une petite dizaine de personnes sont installées dans la yourte. Sur les lits qui sans être des clic-clacs servent de canapés la journée, des tabourets et au sol pour certain. Un homme d’une soixantaine d’année, qui doit être le père de famille, nous invite à nous asseoir. Il semble enjoué de notre présence.
Bon, venons en à l’essentiel, la vodka ! La vodka ?…
Et non, pas tout de suite. D’abord le thé salé, servi par les dames et, on n’y échappera pas cette fois, cet espèce de lait fermenté ressemblant presque à du yaourt. On se voit déjà planter la tente à deux pas des yourtes. Nos estomacs, et puis tant qu’à faire tout notre système digestif, en suractivité pour digérer ce lait pas très frais. Une tasse pleine pour deux, pfiou, pas mauvais en fait. Le thé salé aussi à bon goût.
Ca y est, le visage de « l’homme de la yourte » s’éclaire. Sa femme a pris une clef, l’a faite tourner dans la serrure d’une petite armoire, et en sort une énorme bouteille d’un liquide transparent qu’elle lui tend. Il nous en remplit des petits bols qu’on se fait passer. Pas très forte, pas forte du tout d’ailleurs, je dirai même qu’elle est diluée à l’eau ! Sûrement un mauvais coup de madame pour préserver son homme. Lui profite de ses invités surprises pour descendre la bouteille bol après bol. Il est peut-être même content qu’on n’en boive pas tous. Ca lui en fera toujours un peu plus.
Après un moment d’échangaes, quelques mots de mongol, quelques mots d’anglais, et beaucoup de rires pour combler le reste, nous revenons à notre première requête en leurs montrant nos bouteilles d’eau vides. Rien ici non plus, mais à grands renforts de gestes nous pensons comprendre qu’il y a un puits pas loin, ou une source… du moins quelque chose pour remplir nos bouteilles. Et à moins que la vodka ne sorte du sol, ça doit être de l’eau.
Heureux comme un homme soul, le chef (de la yourte mais pas de la bouteille) propose, et insiste même, pour nous montrer l’endroit. Pas à pied ! Nomade mais pas piétons, il enfourche une petite moto et fait signe à Philipe de monter à l’arrière. Rassuré comme un homme pas soul, qui en accompagne un soul sur un deux roues qui tout seul ne tient pas debout, il s’exécute. Une dizaine de minutes plus tard les deux sont de retour. Philipe, sain et sauf, a repéré l’endroit : tout droit vers l’ouest, après la troisième yourte à droite, puis tout droit en direction des rapaces qui s’acharnent sur une carcasse et à gauche au niveau du gros yack à corne. S’il n’a pas bougé.
Pas facile de s’orienter sur cette immense plaine qu’on mettra l’après-midi à traverser.
Après avoir salué la famille, nous repartons les sacs sur le dos en direction de la source.
On serait certainement passé à côté si l’homme n’y avait pas amené Philipe. Elle sort simplement du sol au milieu de la plaine, sans logique particulière et en formant un petit bassin qui s’écoule vers la rivière. Ca pourrait être une résurgence de l’Orkhon, mais l’eau glaciale nous indique qu’elle vient des profondeurs, donc largement et naturellement filtrée pour être bonne à boire.
N’étant plus maintenant à un programme prêt, nous profitons de ce robinet ouvert pour nous poser à proximité, et y engloutir notre repas de midi.
Sur le chemin, jour après jour, nous croisons d’autres yourtes. Parfois des enfants nous font signe de loin en disant « hello ! », avec de grands rires joyeux. Nous répondons d’un geste de la main et leur offrons un sourire à notre tour.
La veille de notre arrivée à Bat-Ulzi, alors que nous apercevons déjà la ville au loin, au bout de la plaine, nous demandons aux occupants d’une yourte installée à côté d’une maisonnette, si nous pouvons planter nos tentes dans les alentours. Aucun problème, à une dizaine de mètres de là, il y a plus de place qu’il n’en faut pour quelques nomades de plus sur ces étendues de verdure. Par contre, en tant que nouveaux voisins, ils nous invitent presque immédiatement à l’intérieur de leur yourte.
Il y a du monde. Plus d’une poignée d’hommes discutent avec véhémence assis autour d’une table basse. Des femmes les accompagnent, plus discrètes. Quelques hommes sont vêtus de leur tenue traditionnelle, le del, et deux autres de chemises à carreaux et jeans, leur donnant un air de citadins. La yourte est décorée de la même manière que d’autres que nous avons pu « visiter »: Le poêle au centre, les lits en cercle contre la paroi intérieure, quelques meubles, etc. En plus, nous découvrons ici tout un tas de coupes et médailles entreposées sur les meubles avec dessus des petites inscriptions représentant des chevaux.
On nous sert l’habituel thé au lait salé, accompagné d’une grande assiette pleine de biscuits et de bonbons.
Au centre, proche de la table basse, un homme assez fin et au regard vitreux est assis sur un tabouret au ras du sol. Il s’occupe de servir la vodka dans un bol qu’il fait passer tour à tour aux occupants. « One people one cup », nous dira-t-on, alors que le bol arrive dans nos mains. Aaaaah, « elle est pas coupée à l’eau celle-là ! », hmm, pas mauvaise du tout ! Au prochain ! Bien que certains d’entre nous tentent de couper à la tradition mongol, nous encaissons comme il se doit les bols quand ils arrivent à nous. Lorsque la bouteille se vide, rapidement à ce rythme, un des « citadins » va en chercher une autre dans son 4×4, à l’extérieur. Et encore une troisième peu de temps après. Au grand bonheur du petit homme au regard vitreux, qui s’empresse de faire en sorte que la bouteille ne reste pas pleine trop longtemps.
« «One people one cup », nous dira-t-on, alors que le bol arrive dans nos mains. Aaaaah, « elle est pas coupée à l’eau celle-là ! », hmm, pas mauvaise du tout ! Au prochain ! »
Je ne sais plus à quel moment et pour quelle raison nous sommes finalement sortis de la yourte. Ce qui est sûr, c’est que le montage de nos tentes, juste après, a été joyeux. En même temps trois mongols attaquent le montage d’une deuxième yourte. Un jeune qui semble ne pas avoir forcé sur l’alcool, le petit homme au regard vitreux et un autre cinquantenaire qui en tiennent une bonne ! Dans cet état-là, une équipe de bras cassés ! Après renseignement il faudrait 45 minutes tout au plus pour monter une yourte. Lorsque notre campements est installé quelques-uns d’entre nous vont leur prêter main forte. Et après deux bonnes heures, le travail est à peu près terminé. On n’aurait pas mis moins longtemps pour monter un meuble ikea, après avoir descendu trois bouteilles de vodka. Et encore, avec une notice !
« Et après deux bonnes heures, le travail est à peu près terminé. On n’aurait pas mis moins longtemps pour monter un meuble ikea, après avoir descendu trois bouteilles de vodka »
Une des femmes nous explique cette « apéro » : arrivés d’Ulan Bator pour passer les trois mois d’été à la campagne, ils ont ce jour-là attrapé 9 des chevaux de leur troupeau, des animaux qui vivent dans la steppe le reste de l’année. Pendant les semaines suivantes, les nomades préparent leur monture pour Nadaam, cette fête nationale du mois de juillet.
Au cours de cette fin d’après-midi et le lendemain matin, nous avons le temps d’observer et d’entendre les jeunes cavaliers, à cru sur leurs chevaux, au galop, qui ramènent les troupeaux de veaux, regroupent les bêtes, et s’entraînent à attraper les chevaux à l’aide de l’Urga, le lasso à perche mongol.
Le lendemain nous reprenons la route pour une dernière ligne presque droite jusqu’à Bat-Ulzi, sous le soleil. Nous traversons la rivière à un endroit où l’eau est peu profonde, passons à travers des terres de roches volcaniques, et arrivons en début d’après-midi.
3 Comments
Hello Hello encore… on a eu envie de lire des aventures de Mongolie… histoire de se rendre compte que c’est définitivement les premiers mois et les premiers pays d’un long voyage qui sont les plus doux, les plus beaux et les plus riches… avec leur fraicheur, leur énergie, leur organisation, leur envies longuement muries et leur enthousiasme… Vos lignes montrent encore des choses que l’on a contourné sans le vouloir…. la rencontre dans les yourtes mongole, la vodka mongole et Naadam… Merci, merci de nous le faire vivre un peu et de donner l’envie qui n’était plus là de replonger dans Nawakbad… au retour la parenthèse d’une longue année s’efface si vite et si profondément qu’on l’oublie… Il faut des voix là bas qui passent nos fenêtres d’ici pour les réanimer ! bon vent à vous deux et merci !
Nous espérons croiser la caravane Nawakbad quelque part part en chemin !
Coucou Alice,
Les premiers mois, ou le premier voyage, peut aussi paraitre plus succulent que les prochains.
Notre voyage sans date de fin/retour est encore une nouvelle expérience. Les ressenties changent..
Au plaisir de vous croiser sur les routes.