En Chine, et en tant que voyageurs nomades dépendants (pour le moment) des transports en commun, nous faisons nécessairement l’expérience des trains, de l’entrée à la sortie du territoire. Jusque-là, nous étions passés par des gares de tailles humaines, calmes, bondées parfois. Mais nous n’avions pas encore connu les gares et les trains de l’Empire du milieu.
Des lignes ferroviaires légendaires
De la Chine au Vietnam, de la Chine au Tibet, certaines lignes légendaires suscitent l’intérêt des voyageurs.
Nous aurions été curieux de prendre ce train pour monter à Lhasa, la ligne ferroviaire la plus haute du monde puisqu’elle emprunte un col à 5 068 mètres d’altitude (Avec les désastres écologiques que cela engendre). Malheureusement, les permis tibétains sont hors de prix et les tibétains eux-mêmes, croisés au hasard de la route, nous ont déconseillés de nous rendre à Lhasa : “Tibet WAS a good country”, insiste-t-on. C’est la ligne héritée de l’ancien réseau ferroviaire d’Indochine que nous avons suivie vers la sortie du territoire. De Kunming à Mengzi puis de Mengzi à Hekou, nous avons atteint le Vietnam par le poste frontière de Lao Cai.
Mais avant ça, nous avons parcouru plus de 3000km en train à travers l’Empire du milieu, et c’était à chaque fois une aventure !
Deux étrangers dans une gare chinoise
D’abord, nous devons nous procurer les billets, un jour à l’avance au moins pour ne pas être pris de court. Nous appliquons la méthode la plus efficace pour trouver les guichets : suivre le troupeau. Un scanner devant la gare et nous distinguons deux directions générales, une menant aux guichets, l’autre aux accès des trains, reconnaissable par la ligne de bureaux de contrôles des billets, passeports et bagages. Nous entrons dans un hall plus ou moins immense où une multitude de files d’attente sont alignées. Nous choisissons la plus courte, ou même parfois, il y a une file indiquée Foreign guest. Après une attente pas si longue malgré la taille de la file, nous voilà munis de nos billets. Sans plus de complications, depuis que, sur de bons conseilles, nous avons pris quelques réflexes : Toujours être munis d’un petit bout de papier sur lequel nous inscrivons, ou faisons inscrire (en caractères chinois), destination, date, heure, classe et numéro du train. Nous avons même, rarement, la bonne surprise de tomber sur un guichetier qui parle quelques mots d’anglais.
Le jour attendu, nous sommes dans le hall de la gare. Il faut comprendre leurs affichages. Les horaires sont écrits en chiffres romains. Le numéro du quai aussi. Ce sont les seules choses qu’on peut déchiffrer en un coup d’œil : les immenses écrans d’informations électroniques se rient de nous quand ils changent d’affichage toutes les 4 secondes. Il nous faut attendre plusieurs cycles pour repérer notre train, et notre quai. Encore plusieurs cycle pour confirmer le nom de la ville écrite en caractères chinois : 成都, c’est bien notre destination.
Certains halls sont simples, un couloir qui mène vers les quais. D’autres, comme à la gare de Pékin, ressemblent à un terminal d’aéroport. D’un immense couloir bondé de monde et de magasins se dégagent parallèlement des « Waiting room » de la taille d’un gymnase. La foule est au rendez-vous, les voyageurs sont assis partout, sur les bancs, par terre, le dos appuyé contre un mur, un banc ou un pilier. Les bagages sont entassés devant eux, par tas de grands sacs en plastique tissé. On voit des femmes arriver, portant ces effets à l’aide d’une simple corde enroulée autour de leur torse, l’échine tellement courbée qu’elles ont le dos presque parallèle au sol. Dans cette agitation, personne ne semble bien pressé et on entend des rires un peu partout.
« Le train au départ de Pékin et à destination de Chengdu !… »
Les haut-parleurs se mettent soudain en route, une courte annonce est prononcée. Inutile de se demander la signification, en moins de quelques minutes tout ce monde s’est rué vers le portillon d’entrée, dans une file plutôt droite et organisée. Nous passons les portiques parmi les derniers, les places sont numérotées, donc pas d’inquiétude pour s’asseoir. Après être entrés dans notre voiture, du moins après être parvenus à passer la première marche, il faut alors jouer des coudes pour pouvoir passer le sas et entrer dans le wagon. Là il y a des gens partout.
« Les haut-parleurs se mettent soudain en route, une courte annonce est prononcée… »
« …en moins de quelques minutes tout ce monde s’est rué vers le portillon d’entrée »
Il est 16h32, nous arriverons le lendemain vers 20h30 à Chengdu, 28h de voyage assis sur un « Hard sit » qui porte très bien son nom vu son inconfort (malgré sa modernité). Dans la largeur du wagon, une banquette de trois places, une seconde de deux, un couloir entre les deux, et les mêmes banquettes qui font face, ainsi de suite jusqu’au bout du train. Après un temps certain à essayer de caser nos sacs, nous négocions nos places avec les « Standing class » qui ont profité de l’absence de voyageur pour se les approprier : eux voyageront debout.
Un voyage dans un voyage
Quelques heures passent, le temps de regarder le paysage défiler et bien nous installer. Le train ne se vide pas, et les premiers signes de fatigue se font sentir. Une tête tombe de temps à autre sur l’épaule du voisin, se pose sur la petite tablette ou contre la fenêtre – ça, c’est pour les personnes assises. Quant aux Standing, ils ne manquent pas d’imagination pour trouver leur confort : debout contre un fauteuil la tête lourdement posée dans les bras, assis sur leurs sacs ou sur de petits tabourets pliable, ou encore allongés dans le couloir, voire sous les sièges pour les plus menus. La lumière ne s’éteindra pas complètement de la nuit et il règnera une agitation constante que nous oublions à mesure que le sommeil nous frappe. Les réveils sont nombreux, dus au bruit, à la position inconfortable ou aux mouvements du train, et certains ne parviennent pas à dormir.
Avant l’heure du sommeil et après le réveil général, des vendeurs de nourriture, boissons, fruits et légumes ou encore objets en tous genres (du coupe-ongle au baume du tigre) font des allers retours dans le wagon en déferlant un torrent de mots, en chinois bien sûr. Parfois, la vendeuse de bibelots reste un certain temps dans le wagon et commence un one-girl-show de démonstration et de parlotte dont on en comprend l’essentiel : « Vous allez les acheter mes bibelots à la fin ?! ».
Dans ces trajets, nous avons croisé peu de voyageurs étrangers parmi tous les chinois (les autres « blancs » doivent être en Sleeping class, sage décision). Alors forcément, on peut susciter la curiosité. Il faut trouver les tactiques pour rester à l’écart, ou bien tu te retrouves mêlé à un sacré bazar. Alors tu ne bouges pas trop parce que tu sens qu’on te regarde et déjà certains échanges semblent te concerner. Les meilleures techniques dans ce cas-là : faire semblant de dormir, ne pas croiser les regards, ou choisir la place près de la fenêtre, ça limite les risques de siège organisé.
Mais parfois, ton voisin d’en face saute sur la première occasion pour lancer la conversation : un regard interrogateur de ta part, une incompréhension, ou un objet quelconque. La machine est lancée. D’abord, ils te parlent en chinois. Quand ils voient que tu ne comprends pas, une femme sort son portable, écrit quelque chose et te le tend. Là tu rigoles, c’est écrit… en chinois. Tu leur fais comprendre à grands gestes que tu ne lis pas le chinois. Comble, on te tend une fois encore le téléphone, avec des mots chinois écrits en lettre de l’alphabet arabe. Évidemment, c’est tellement plus simple !… Alors les voilà qui discutent de plus belle, de trois ils sont passés à six, puis ceux des banquettes alentours se sont retournés, tu es cerné de regards.
Et puis, tout d’un coup, tu entends « Where are you going? ». Tu te retournes. Juste là derrière toi, alors qu’il avait assisté à toute la conversation depuis le début, un chinois te parle en anglais. Tu te dis presque « Ouf, ça va débloquer l’embouteillage », mais c’est sans compter sur la multitude de questions qui s’enchaînent : « Where are you from? », « Are you lovers? », « Can we see your money? », « How old are you? »…
Quand le voyage se fait vraiment long, on essaie de ne pas regarder l’heure pour ne pas nourrir l’impatience de l’arrivée. La journée suit sont cours avec son lot de petits événements, de la visite aux toilettes (des toilettes à la turque en inox, ce n’est pas bien plus sale que les toilettes des trains du transsibérien), aux repas parsemés, un peu de lecture, un peu de sieste, un peu de tout, avec les arrêts dans les gares qui engendrent systématiquement un flux sortie-entrée assez drôle à voir. A un moment donné, l’agitation se fait plus dense, beaucoup de voyageurs commencent à se préparer, remettent leurs chaussures, descendent leurs bagages. Il est 19h30. La gare de Chengdu est encore à une heure de route. Et pourtant, ils sont prêts, et c’est bien à Chengdu qu’ils descendent.
« Cheechandchong Chengdu !! », les contrôleurs s’égosillent pour annoncer l’arrêt en traversant le wagon. Cinq minutes après, ils repassent, silencieux, un balai à la main, pour commencer leur ménage d’arriver-dans-une-gare. Un peu de rangement, remettre les rideaux bien en place, récupérer les petites bassines en aluminium qui font office de poubelle. Tout ça à travers des wagons toujours bondés. Certains ne s’embêtent pas, ils jettent le contenu par terre (divers emballages, pelures de fruits et mouchoirs) et finissent au balai et éventuellement à la serpillière.
Dehors, le paysage est assombri par la nuit qui tombe doucement, mais on perçoit bien la longue banlieue de la ville. La lumière baisse soudainement, l’écho des roues sur les rails et un sifflet se font plus intenses, puis des lumières vives et blanches éclairent les vitres. Nous sommes en gare, c’est parti pour la descente dans cette nouvelle ville qui nous est alors inconnue, Chengdu.
Leave a reply