La Chine, ce pays aux apparences ultra modernes, développé en un clignement d’œil, cache bien des mystères pour l’homme blanc.
Issue de cette société nouvelle, une massive classe moyenne s’épanouit, aux airs de bourgeois contentés, cadres dynamiques dans des entreprises en pleine expansion, propriétaires des nouveaux gadgets et voitures flamboyantes qui feraient pâlir les accros de la mode par chez nous. De leurs yeux bridés sous les pommettes grassouillettes de l’homme qui a réussi, ils nous regardent passer dans la rue avec une curiosité indiscrète et nous lancent un fier « hello » dès que l’occasion se présente. Sans attendre d’avoir échangé un mot avec nous, ils arborent leur portable pour pouvoir d’une manière ou d’une autre apparaître sur une photo aux côtés d’un blanc. Ce simple hello, parfois ajouté d’un « where are you from ? » (leur anglais s’arrête bien souvent là), paraît être le seul accès pour franchir une passerelle, que dis-je, un pont, vers le blanc.
Au milieu de cette foule sans couleur, ces corps sans détails, ces voix monotones, on peut distinguer, là-bas derrière le rideau, des visages plus particuliers, des rencontres inoubliables, des regards d’hommes respirant l’humanité.
C’est dans la vallée du Nu Jiang, après cette belle et épuisante randonnée, que nous avons rencontrés Aluo. Une vallée de 400km de long, scindée par le Nu Jiang, un large fleuve au courant puissant et menacé par des projets de barrages (jusqu’à 13, dont le plus haut mesurerait 300) depuis de nombreuses années. Les populations locales, composées en grande partie de minorités, vivent en sursis de se faire confisquer leurs terres de subsistances sous le joug de la modernité. Certaines d’ailleurs ont déjà été déplacées dans des tours d’immeubles de Liuku, à la sortie de la vallée où, privés de leur source de savoir-faire, les familles vivotent sans lendemain, percevant une maigre allocation octroyée par le gouvernement pour leur coopération. Si le projet des barrages se concrétisait (malgré les pressions internationales, écologistes, et de l’Unesco) la vallée deviendrait une usine de fabrication d’énergie à ciel ouvert.
« on peut distinguer, là-bas derrière le rideau, des visages plus particuliers, des rencontres inoubliables, des regards d’hommes respirant l’humanité »
Aluo est de ces militants contre l’exploitation de ses terres. Il nous dit comme le gouvernement chinois jongle, avec indifférence, avec leurs vies. Quand je lui demande à quel peuple il se sent appartenir, il me regarde, visiblement étonné de la question, et répond sans hésiter : « I’m tibetan ! ». Il s’inquiète de cette pluie battante en août après un début d’été sec. « Ce n’était pas comme ça il y a quelques années, les averses s’étalaient sur tout l’été », dit-il avec un rire jaune qui en dit tant.
Gérant de deux guesthouses dans la vallée, il travaille surtout dans les montagnes, celles même que nous avons empruntées entre Cizhong et Dimaluo. Avec son regard tendre et puissant, porté par la joie qui éveille de légères rides au coin de ses yeux, il y guide des groupes de pèlerins catholiques et de touristes chinois : « Les chinois, j’ai beau leur dire de ne pas jeter leur déchets par terre, dès que j’ai le dos tourné, ziou », fait-il avec un geste de la main par-dessus son épaule.
Le temps d’un repas partagé au coin du feu, étonné de voir deux étrangers fouler ses montagnes que seuls les locaux semblent connaître, il salue notre audace comme nous saluons sa forte simplicité. Un visage qui nous aura été d’un grand réconfort, après ces jours en montagne.
Dans cette même guesthouse, plus tard dans la soirée, nous sommes allongés sur le canapé, nous parlons de choses et d’autres. Soudain, on entend, « quelle langue parlez-vous ? ». La question nous est posée en français. C’est Zeng. Un homme de taille moyenne, une cinquantaine d’années, le visage calme des hommes vivants, il nous regarde avec curiosité.
– Nous venons de Cizhong, nous avons marché à travers la montagne.
– Oh ! dit-il, j’étais justement au village voisin, celui qui est sur le chemin !
La conversation continue, dans la soirée et le lendemain. Zeng Nian est chinois. Pardon, français. Enfin, il est chinois d’origine et français d’adoption, en tout cas son français est impeccable, et ses quelques hésitations donnent l’impression d’un homme qui réfléchit à ce qu’il dit. Avec des yeux peu bridés, on pourrait croire qu’il s’est approprié son nouveau pays jusqu’aux paupières depuis son installation en France, à l’âge de 30 ans. Il est photographe, beaucoup de reportages. Il nous ravit en nous parlant de son travail, reporter de terrain qui a trimballé ses boitiers argentiques à travers les pays, fidèle à ses outils de travail tant que cela fonctionne ; un vieux Macintosh, « un peu lourd mais efficace ». Il nous montre des séries de photos qu’il a réalisées sur les voies de chemins de fer français dans le sud de la Chine, à Lhasa dans les années 1980, et surtout, un reportage époustouflant sur la construction du barrage des trois gorges. Le travail vaut le coup d’œil.
Visite de la cité interdite – Perdus dans la masse chinoise
Quelques jours plus tard, nous sommes à Kunming. Nous sommes arrivés en bus depuis la vallée du Nu Jiang où, pour en sortir, nous avons du passer un contrôle face à un policier robotique, Ray Ban sur le nez :
« How long time in the Nu Jiang valley ?
– Two days.
– First time in the valley ?
– Yes.
– From where did you arrive ?
Hmm. Difficile question. Peut-être vaut-il mieux ne pas lui dire « de la montagne ». Faisons simple.
– Liuku.
Toutes les allées et venues semblent être minutieusement contrôlées pour entrer dans le Nu Jiang. Est-ce la proximité avec la frontière Birmane (à une montagne de là, facile pour des randonneurs) ? Cachent-ils des projets secrets ? Dans ce pays, on peut presque tout imaginer.
Nous voilà donc à Kunming. Une grande ville comme il en est tant, où sous une pluie grisâtre les rues ne nous inspirent rien de fascinant. Il nous reste trois jours sur notre visa, et nous sommes franchement à court d’envies. La Chine nous a pris bien de l’énergie. Il y aurait les rizières de Yuanyang, mais elles sont (encore) payantes.
« Avec ses longues dreadlocks parées de bijoux et un sourire ravageur »
Nous vient l’idée de contacter Lyla, une chinoise de 25 ans environ que nous avons rencontrée à Chengdu. Elle nous avait laissés une adresse email et une curiosité de la revoir.
Ses parents vivent à Mengzi, la dernière grande ville sur la ligne de chemin de fer qui descend au Viêtnam. Elle nous répond avec un enthousiasme chaleureux et c’est sans hésitation que nous passons une soirée avec elle, dans leur appartement à la vue plongeante sur le palais du gouvernement aux allures de Ministère de la vérité. Avec ses longues dreadlocks parées de bijoux et un sourire ravageur, ce petit bout de femme nous parle de ce pays qui est le sien, des découvertes qu’elle a faites depuis qu’elle s’est ouverte à l’autre côté de la toile, moyennant un Vpn (un logiciel permettant d’accéder à internet plus librement et de contourner le puissant firewall chinois. Nous avons nous aussi dû nous en procurer un, non sans difficultés, à notre arrivée dans le pays). Elle nous parle, entre autre, du Tibet et de la Mongolie intérieure qui n’ont pas, comme c’est enseigné dans les manuels scolaires, toujours appartenus à la Chine. Et pourtant, c’est avec de l’espoir, le désir de ne prendre que le bon de la Chine, qu’elle imagine un avenir.
Elle ne nous laisse pas partir sans avoir goûté la soupe de nouilles au riz, à la viande d’agneau « parce qu’eux au moins peuvent brouter dans les montagnes, pas comme les poulets ou les cochons, on ne sait pas bien ce qu’ils mangent », nous dit-elle.
La soupe, servie dans un grand bol avec nouilles, menthe et coriandre fraîches, est succulente, un avant goût du Viêtnam maintenant très proche.
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