Comme un géant de paix qui traverse les âges, le monastère tibétain s’élève vers le ciel gris de nuages, si gris que la pluie se met à tomber au moment même où nous atteignons le haut des marches. La foule de visiteurs qui s’étendait à l’instant sur l’escalier se transforme soudainement en un troupeau agglutiné de parapluies et de vestes imperméables à usage unique colorés, promptes à se lancer sous le premier toit. Mis à part quelques capricieux ou paresseux visiteurs, tous respectent la règle tibétaine de la Pradakshina (en sanscrit) et contournent les temples dans le sens des aiguilles d’une montre.
Un air humide, saturé, règne alors à l’intérieur des temples hauts en couleurs qui se remplissent de pèlerins et de touristes, le temps de la pluie battante. La salle emplie d’odeurs d’encens perd son calme et devient un lieu de vie grouillante. Les files s’allongent devant les tabourets de prière, et ce bonze assis dans un coin du temple se trouve submergé d’une foule attendant son tour pour recevoir les paroles bouddhiques et le bracelet béni, moyennant quelques yens.
Le Ganden Sumtseling Gompa, petit Lhassa de Shangri-la
C’est sous cette pluie interminable que nous nous sommes promenés dans les ruelles du monastère de Shangri-La, le plus important du sud-ouest de la Chine. Bondé sur les grands axes, il suffit de se glisser derrière les temples principaux pour découvrir des maisons d’argile où quelques moines (parmi les 600 qui occupent le monastère) cuisinent, allument un feu ou simplement sont assis dans leur salle de vie.
Au détour d’une maison agrémentée d’un joli patio intérieur, un homme au vêtement bordeaux, tête rasée et grand sourire, se risque quelques secondes sous la pluie pour sortir un pot de fleurs. Il nous voit avec nos dégaines de visiteurs trempés jusqu’aux os, se marre franchement, et fait un signe de la main vers l’intérieur.
L’invitation est tentante. Nous suivons l’homme à travers le patio jusqu’à une charmante pièce toute de bois verni vêtue, étagères, bancs, table, etc… Il semblerait qu’on soit dans le salon d’une grande coloc’ de bonzes.
– Where are you from ? Nous demande le bonze qui nous a invités.
– Fagoa.
– Oh, France !… Benzemaaah, Zidane !
Le voilà qui se lève et mime le buteur en pleine action.
En même temps, un autre bonze d’une cinquantaine d’années, lunettes de soleil opaques, regarde des vidéos sur son téléphone-à-tout-faire. Il porte, comme beaucoup de ses frères bonzes à travers le pays, une paire de baskets aux pieds ; à croire qu’ils étaient tous de grands sportifs dans une vie antérieure.
Deux coloc’ s’en vont en ville en voiture, ils nous proposent un « ride » mais nos vélos de location attendent sagement sous la pluie. On nous invite à rester le temps qu’il faut à l’abri.
Le dernier bonze présent dans la pièce allume un feu dans le poêle posé au centre de la pièce, qui sert aussi de table basse. Cela nous permet de nous réchauffer et de faire sécher nos imperméables. Il ne parle pas un mot d’anglais, et nous, nous avons appris que trop peu de chinois. Dehors, la pluie tombe toujours et le ciel s’assombrit peu à peu, contrastant avec la chaleur grandissante de la pièce ; le bois qui craquelle, la lumière chaude, le bonze assis sur le banc qui s’assure que le feu brûle bien.
Après un moment de silence, il allume la télévision, une alternative peut-être pour occuper un peu l’espace vide entre nos deux langues. Un écran plat flambant neuf, au coin duquel l’autocollant de pub est toujours collé : 3DTV. Les informations chinoises n’ont pas l’air bien plus glorieuses que n’importe quelles informations du monde ; juste un enchaînement d’images catastrophes et d’éloge du nouveau gadget à la mode.
Reposés, nous repartons, malgré la pluie qui ne veut pas s’arrêter. Mais il faut que nous rendions les vélos, et la nuit commence déjà à tomber. Nous arrivons au centre de Shangri-La tellement trempés que plonger dans une baignoire tout habillés n’aurait pas été différent.
Et Zhongdian devint Shangri-la…
Avant la pluie, il y a eu la grisaille, celle qui reste coincée sur ce plateau d’altitude (3160m) entre les montagnes. Là-haut, la ville s’étale de tout son long en quelques longs boulevards, bordés de gros bâtiments administratifs gris. Quelques rues quittent ces grandes artères pour se diriger vers le centre de la ville. En août 2015, elle est encore en pleine reconstruction, suite à l’incendie de janvier 2014 qui a détruit plus de 300 maisons tibétaines du vieux quartier en une nuit. L’effet est curieux, des maisons neuves au style ancien, déjà investies par des boutiques et des restaurants, se dressent au milieu de parcelles en chantier ou pleines des décombres de l’incendie. Dans ce décor de cinéma inachevé, les touristes, vacanciers et voyageurs, désorientés, se promènent dans les ruelles qui lentement reprennent vie.
Shangri-La dissimule une autre curiosité : anciennement connue sous le nom de district de Zhongdian (ou, plus rarement, Gyaltang en Tibétain), elle a été rebaptisée Shangri-La en 2001. Le gouvernement chinois y a vu la vallée perdue, du même nom, décrite dans le roman de James Hilton, Lost Horizon. Un endroit magnifique, avec en toile de fond l’Himalaya, où règne une ambiance de paix et de tranquillité. Une réalité approximative dans laquelle le gouvernement a osé investir, créant un nouvel Eldorado qui attire toujours plus de touristes (principalement Chinois) curieux de découvrir un lieu au nom évocateur…
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