Le petit sentier de terre qui traverse la forêt sur ce versant des monts Meili retrouve soudain la lumière. Une à deux heures d’ascension depuis le village mène chaque jour des centaines de pèlerins tibétains vers la cascade sacrée de Yubeng (Yubeng Shenpu). Des petits enfants aux grands-mères, en passant par quelques sportifs, tout le monde se retrouve sur ce sentier.
Les monts sacrés de Meili
Depuis les hauteurs du Kawa Karpo, s’élevant à 6740m, les glaciers perdent leur manteau d’hiver, toujours un peu plus année après année, et jettent leurs eaux en une cascade longue et effilée, qui sculpte les roches dans un bruit fracassant. La tradition veut que l’on se baigne en passant sous ses eaux aux vertus guérisseuses. Et c’est ce que tous viennent accomplir. Un à un, les pèlerins passent, tout habillés, sous cette « douche », malgré la grisaille du jour. On peut imaginer qu’il y a quelques temps, les pèlerins ne se munissaient pas de K-Way à usage unique pour s’y purifier ; le lieu même de la cascade est devenu une poubelle de plastique.
Le sentier n’en est pas moins magnifique. À l’approche de la cascade, il se transforme en un véritable tunnel de drapeaux tibétains très dense. Ces drapeaux, accrochés au sommet des montagnes, dans des lieux sacrés ou hauts, propagent l’énergie positive des prières vers les dieux grâce au vent, apportant paix, compassion, bénédiction et protection. Leurs cinq couleurs symbolisent les éléments, et divers mantras (prières bouddhistes) y sont inscrits.
La cascade n’est en fait que la seconde partie d’un pèlerinage de deux à trois jours. La plupart des pèlerins arrivent au village de Yubeng en partant des hot spring de Xidang, moyennant un droit d’entrée (en Chine ? Pas possible…) rocambolesque. Ce qui était autrefois un simple sentier a été transformé en large piste forestière, apte à accueillir les centaines de pèlerins-touristes quotidiens. La piste grimpe quatre heures durant, un dénivelé positif de plus de mille mètres, jusqu’à une altitude de 3800m. Chacun est dans son effort, ceux qui descendent nous lancent des Tia io (expression tibétaine qu’on pourrait traduire en un très sincère : « courage, tu vas y arriver »). Parfois, une mule dépasse la foule, chargée de bagage ou d’un pèlerin-touriste qui a eu froid aux yeux.
De là-haut, la route dévale vers une magnifique vallée encastrée, entourée de montagnes si hautes que leurs sommets sont couvert d’une épaisse couche de neiges éternelles. Autour, la végétation persiste jusqu’à des altitudes folles, 4000m n’impressionne ni les feuilles ni les épines.
Yubeng est un village divisé en deux hameaux, le haut (Upper Yubeng – 3200m) et le bas (Lower Yubeng – 3100m). Le départ pour la marche vers la cascade sacrée se fait du village bas, là où s’amassent de nombreuses guesthouse plutôt chères et de mauvais restaurants (on en fera l’expérience plus tard). Pour la première nuit, nous avons eu la bonne idée de rester dans le village haut. Atmosphère calme, semblable aux villages de montagnes coupés de la civilisation, avec une légère invasion du tourisme toutefois. Si nous sommes restés là, c’est parce qu’une première marche nous attendait le lendemain : un lac d’altitude, sacré lui aussi, « gelé » dit-on, à 3900m. Une ascension qui teste une seconde fois la capacité de nos poumons à s’adapter à de telles altitudes. Après une montée folle presque tout droit dans la montagne à travers des forêts tantôt de conifères, tantôt de résineux, parfois de bambous, nous arrivons sur un large plateau entouré de hauts sommets enneigés. Le lac se cache juste au-dessus.
« La nuit d’altitude est fraîche, signe de ciel dégagé ; les étoiles et la voie lactée s’offrent à nous seuls »
Un lac aux eaux sombres, boueuses, qui n’est pas gelé en cette saison, reçoit des tonnes d’eau et des blocs de glace du glacier dominant. Autour, des centaines de Cairns forment un champ de prières. Munis de notre fidèle tente, nous attendons la disparition du soleil et des derniers randonneurs, pour monter notre abris sur un promontoire tout juste assez large. La nuit d’altitude est fraîche, signe de ciel dégagé ; les étoiles et la voie lactée s’offrent à nous seuls. Le bruit de l’eau déferle comme une berceuse. Au matin, le lac a perdu un peu de volume, les eaux se sont amoindries, la nuit s’est chargée de ralentir le rythme de fonte du glacier.
Nous aurions pu rester perchés longtemps là-haut, mais notre curiosité nous rattrape. Aux alentours de midi, nous revoilà au village. Après avoir récupéré quelques affaires que nous avions laissées dans la guesthouse, on déménage au hameau bas, où nous retrouvons trois compagnons de voyage et de marche des derniers jours : Luca est brésilien, Gaal et Ben israéliens. Le hameau est en effet bien moins sympathique que son dominant et plus modeste frère du haut. Les pèlerins s’amassent en famille dans des dortoirs peu chaleureux, où chacun respecte uniquement son rythme : ceux qui décident de partir à 3h du matin pour la marche n’ont que peu (voire pas) de considération pour les voisins de chambre qui peut-être dorment encore à cette heure.
Nous restons au hameau le temps d’explorer les environs. Les plus courageux (Marcel, Ben et Gaal accompagnés d’une taiwanese) partent le lendemain matin avant les premiers rayons du soleil vers un autre lac d’altitude, le lac secret, à 4300m cette fois, aller chatouiller le Mont Blanc, au-dessus des nuages, à travers des forêts de bambous aux allures de jungle. Un paysage d’autant plus serein que très peu fréquenté. Ils ne seront que sept à se retrouver là haut ce jour-là.
En effet, en cette année de la chèvre (tous les douze ans dans le calendrier chinois), la grande majorité des personnes viennent à Yubeng le temps de monter à la cascade, la fameuse cascade sacrée, à laquelle nous avons consacré notre dernier jour.
Puis le temps du départ a sonné. D’autres randonnées nous attendent. Yubeng n’a pas qu’un seul chemin d’accès (le large chemin du premier jour). En longeant les eaux déversées par tous ces glaciers, nous pouvons rejoindre en 4-5 heures le petit village de Ninong dans la vallée du Mékong. Nous découvrons un nouveau sentier, à travers des paysages de forêts et de gorges abruptes au fond desquelles un torrent massif claque sur les roches. Un bouquet final inattendu, d’autant plus que ça ne devait être « que » le chemin du retour. Le canyon se termine en falaises vertigineuses avant de déboucher sur la vallée du fleuve rouge. Rouge, il l’est le Mékong, d’une terre argileuse secouée par le courant.
Nous dormons une nuit dans un hôtel blanc et froid, où des matelas immenses sur lesquels cinq, six personnes peuvent dormir côte à côte, traversent les chambres. La route, perchée à deux ou trois kilomètres de là, nous mènera, en stop, directement au petit village de Cizong, notre prochaine étape pour une nouvelle marche à travers les montagnes tibétaines.
Comment
et encore de supers belles photos !
et un plus des infos utilisables. Merci.